đŸ‡«đŸ‡· Rango, imaginaire westernien et figure du comĂ©dien

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Rango est un film d’animation rĂ©alisĂ© par Gore Verbinksi, sorti en 2011. Il narre les mĂ©saventures d’un camĂ©lĂ©on, Rangož dans une miteuse ville dĂ©sertique nommĂ©e PoussiĂšre. Entre corruption, et rarĂ©faction de l’eau, Rango va devoir quitter sa mue de comĂ©dien excentrique, pour celle d’un shĂ©rif honnĂȘte, assoiffĂ© par le manque d’eau et de justice. Rango puise ses ressources dans le genre du Western en empilant les rĂ©fĂ©rences et en les réécrivant. Seulement, en le revoyant, il me semble que le film peut servir de point de dĂ©part pour interroger toute la codification du genre et mĂȘme des genres. Par ailleurs, l’écologie Ă©tant un de mes sujets favoris sur grand Ă©cran, j’étais curieux de voir le lien qu’il tissait avec le western. OĂč la bataille pour l’eau devient jeu de pouvoir.

L’acteur, un camĂ©lĂ©on ou le camĂ©lĂ©on acteur ?

Rango dĂ©ploie durant ses 1h47, une multitude de rĂ©fĂ©rences au processus cinĂ©matographique et plus spĂ©cifiquement au genre du western. C’est ce principe filmique qui m’a suscitĂ© dans mon visionnage du film, et m’a donnĂ© envie d’écrire. Effectivement, Rango dresse un portrait (en premier temps) d’un comĂ©dien prĂ©tentieux. Dans son vivarium, Ă  l’abri, il interprĂšte scĂšnes et rĂ©pĂ©titions avec diffĂ©rents personnages imaginaires (son palmier, son poisson rouge en plastique, son mannequin). Son vivarium est Ă  la fois cage de verre et terrain d’expression. Une expression théùtrale et de pouvoir. Son vivarium calque un dĂ©cor de jeu, de théùtre. Le film narre d’abord une Ă©chappĂ©e de ce plateau de tournage, synecdoque de l’espace filmique. Rango doit s’affranchir de ce camĂ©lĂ©onisme pour embrasser une unique identitĂ©, qu’il assumerait. Évidemment, le choix de l’anthropomorphisme avec un camĂ©lĂ©on, dont l’essence rĂ©side dans ses camouflages versatiles, renseigne sur le personnage incarnĂ© par Rango. Le camĂ©lĂ©on devient alors une figure de l’acteur par excellence, se jouant de ses multiples formes. Rango campe alors dĂšs le dĂ©but du film, une sorte de comĂ©dien minable, motivĂ© par la rĂ©ussite, les paillettes et le succĂšs. Également, tout au long du film, Rango est obsĂ©dĂ© par le cadre, le champ. Comment est-il vu ? Est-il mĂȘme visible ? Verbinski y fait rĂ©guliĂšrement rĂ©fĂ©rence, en traçant les contours du champ, et en usant de surcadrages.

Le cadre : un espace qui enferme ou qui permet l’expression ?

Un idéal westernien à suivre ?

Par ailleurs, Rango s’inscrit dans de nombreuses rĂ©fĂ©rences cinĂ©matographiques, citons Las Vegas Parano (1998) de Terry Gilliam dĂšs les premiĂšres minutes du film. Mais surtout, il renvoie Ă  l’imaginaire mĂȘme du Western, du genre cinĂ©matographique dans lequel il puise son ADN. On peut citer l’esprit de l’ouest, jouant un rĂŽle important dans ce film, reprĂ©sentĂ© par l’homme sans nom (le personnage de Clint Eastwood dans la trilogie du dollar de Sergio Leone). Une sorte de mentor, d’idĂ©al, que Rango doit suivre. En bref, Rango doit faire corps avec le protagoniste du Western. Par ailleurs, Jack le crotale est Ă©galement tirĂ© du personnage de Lee Van Cleef dans Le Bon, la Brute et le Truand de Leone (1966). Certaines tenues font penser Ă©galement Ă  celle de Yul Brynner dans Les Sept Mercenaires (1960) de John Sturges.

Dans la diĂ©gĂšse-mĂȘme, le film reprend motif par motif ceux du western : le vol de diligence, le politicien corrompu, la visĂ©e politique du film, le jeu entre l’intĂ©rieur et l’extĂ©rieur
 Le point d’orgue de cet empilement de rĂ©fĂ©rences se trouve dans le choix du consultant visuel. Effectivement, il s’agit de Roger Deakins, derriĂšre bon nombre de films des frĂšres Coen (Fargo -1996, No Country for Old Men -2007) ainsi que l’Assassinat de Jesse James par le lĂąche Robert Ford d’Andrew Dominik (2007).

Avec ce rĂ©seau de rĂ©fĂ©rences, Rango ne se contente plus de faire allusion au Western, il tient sa puissance filmique dans le genre mĂȘme du Western. Le film existe dans le genre et s’amuse de celui-ci en rĂ©employant les imaginaires, en les bricolant (en passant de Western Spaghetti Ă  ceux de John Ford par exemple). Il devient une sorte de crĂ©ature conglomĂ©rĂ©e. Le film parvient alors Ă  nous questionner sur la justesse des images que nous voyons. Dans quelle mesure les images du western ont-elles dĂ©viĂ©es nos imaginaires de la rĂ©alitĂ© historique. On comprend que le monde westernien existe en soit, dĂ©tricotĂ© de l’histoire de la ConquĂȘte de l’Ouest. En d’autres termes, par sa construction chimĂ©rique dans le champ lexical westernier, Rango finit par nous interroger sur l’imaginaire de l’Ouest, construit par les images.

Rango opĂšre Ă©galement Ă  la fin du film, Ă  une actualisation inattendue du genre, oĂč il fait confondre l’idĂ©al de l’horizon ouest amĂ©ricain, par la ville de Las Vegas. Las Vegas Ă©tant effectivement bĂątie dans le dĂ©sert. On constate alors un enchevĂȘtrement assez malin et inattendu entre le genre du western, le processus filmique, et l’actualisation du genre avec un paradigme Ă©cologique. MotivĂ© par la recherche de l’eau, Rango dĂ©couvrira son dĂ©tournement afin d’arroser les pelouses verdoyantes de Las Vegas. L’Ouest idĂ©alisĂ© s’écroule.

Rango m’a Ă©galement fait penser Ă  Mondwest (1973) de Crichton (plus tard rĂ©adaptĂ© dans la sĂ©rie Westworld), oĂč les contours du parc d’attraction sont les contours du genre du western.

Mondwest (1973) de Crichton – Richard Benjamin et James Brolin

Ces contours finissent par se confondre avec les propres tracĂ©s du film. Il me semble que cette stratification fait penser Ă  celle de Rango, qui par sa lĂ©gĂšretĂ© constitue presque un film d’attraction, invitant Ă  dĂ©couvrir le genre du Western Ă  un public plus jeune. Enfin, pour l’anecdote, lors du doublage du film, les acteurs des voix originales doublaient costumĂ©s, dans des vrais dĂ©cors pour soutenir leur jeu. On constate alors, un film en amont du film. Comme une prĂ©paration pour libĂ©rer les imaginaires et les fantasmes autour du genre.

Pour pénétrer cet imaginaire, il fallait venir costumé.


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