đŸ‡«đŸ‡· Une trilogie de l’humanitĂ© : Entre rĂ©alitĂ© et fiction avec Abbas Kiarostami

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Il ne s’agit pas d’une trilogie au sens classique, et pourtant, OĂč est la maison de mon ami ?, Et la vie continue, et Au travers des oliviers forment un tout cohĂ©rent en trois temps oĂč chaque film devient un questionnement de la sociĂ©tĂ© iranienne autant qu’à l’ñme humaine.


OĂč est la maison de mon ami ? : La dĂ©couverte du monde

L’histoire commence Ă  Koker, un village iranien, le professeur entre, l’autoritĂ© s’installe. Parmi les Ă©lĂšves, Mohammad se fait violemment gronder car il a oubliĂ© de faire ses devoirs dans son cahier. Il est menacĂ© d’exclusion s’il recommence. Le soir-mĂȘme, son camarade Ahmed dĂ©couvre qu’il est reparti chez lui avec le cahier de Mohammad par erreur.

C’est alors qu’un geste simple se transforme en aventure, malgrĂ© l’interdiction de ses parents, Ahmed dĂ©cide de retrouver Mohammad pour lui rendre son cahier et lui Ă©viter une punition. Il ne sait qu’une chose, son ami habite dans le village voisin et porte le nom de Namatzadeh. Ce pĂ©riple, en apparence simple, n’est pas seulement question d’un cahier, mais d’un enfant qui pour la premiĂšre fois franchit le seuil de sa maison et se confronte au monde.

L’enfance face au pouvoir

Kiarostami filme ce voyage avec une tendresse mais aussi avec une prĂ©cision politique. Le monde qu’Ahmed dĂ©couvre est rempli d’adultes qui refusent d’écouter, mais exigent d’ĂȘtre Ă©coutĂ©s. À chaque Ă©tape, on lui impose des rĂšgles et des vĂ©ritĂ©s toutes faites. L’enfant doit obĂ©ir, mais cette fois Ahmed rĂ©siste obstinĂ©ment.

Un moment en particulier rĂ©sume cette tension, un homme arrache une page du cahier d’Ahmed pour faire ses propres calculs. Ce geste banal pour l’adulte est un sacrilĂšge pour l’enfant. Ce charlatan, souhaite remplacer les portes du village par des modĂšles en fer sans Ăąme. En opposition, Ahmed rencontre un vieux menuisier, celui qui a fabriquĂ© ces portes qui sont encore debout quarante ans aprĂšs. Cet homme, humble et silencieux l’aidera Ă  retrouver son ami.

Les portes de la sociĂ©tĂ©, et celles qu’on ouvre seul

Les portes symbolisent des seuils Ă  franchir, les rĂ©sistances Ă  affronter. DĂšs les premiĂšres scĂšnes la porte de la classe est fermĂ©e, l’instituteur inculte le conformisme de la sociĂ©tĂ©, puis la porte suivante est la premiĂšre Ă  ĂȘtre franchie, celle de chez soi. À la fin, c’est une autre porte qui s’ouvre, dans un souffle de libertĂ©, portĂ©e par un geste ultime d’Ahmed.


Et la vie continue : LĂ  oĂč le film s’arrĂȘte, la vie recommence

Deux ans aprĂšs le sĂ©isme de 1990 d’Iran, un rĂ©alisateur et son jeune fils partent Ă  la recherche des enfants de OĂč est la maison de mon ami ?. Abbas Kiarostami brouille volontairement les frontiĂšres de ce que vit le personnage est ce qu’a vĂ©cu le cinĂ©aste. Ce n’est pas un documentaire ou une fiction, c’est un entre-deux (cf: close-up), un espace oĂč les souvenirs, les personnes, les paysages s’entremĂȘlent.

Au milieu des routes dĂ©truites et des maisons effondrĂ©es, Kiarostami filme ceux qui restent. Il les Ă©coute et les laisse parler. Il transforme ce qui aurait pu ĂȘtre un geste d’auteur Ă©gocentrique: revenir sur les lieux d’un tournage, en un acte de partage. Il veut prendre des nouvelles, comprendre ce qu’il s’est passĂ©, voir comment ces gens vivent aprĂšs la tragĂ©die. Il ne filme pas la catastrophe, il filme ceux qui s’en relĂšvent.

La renaissance à travers un nouveau né

Ceux qui restent

Un Iran gĂ©ologiquement et politiquement fragile, tient pourtant debout par la force de sa population. On y croise des enfants, des vieillards, des familles, des gens qui parlent de la Coupe du Monde, d’un mariage, des gestes simples qui disent que la vie continue.

La voiture traverse des collines et des paysages contemplatifs, puis cette colline avec un chemin en zigzag que nous avons vu dans le premier film, comme un fil entre les Ɠuvres. Mais cette fois ce n’est plus seulement l’histoire d’un enfant, c’est celle d’un peuple.

Et si le film est aussi marquant, c’est parce qu’il est peuplĂ© de personnes rĂ©elles, qui ont vraiment vĂ©cu le drame. À tel point qu’on ne sait plus oĂč s’arrĂȘte la mise en scĂšne. Une femme parle de son mari mort dans les dĂ©combres, est-ce une actrice ou une survivante ? Peut-ĂȘtre les deux. Kiarostami ne cherche pas Ă  nous le dire mais laisse la vĂ©ritĂ© apparaĂźtre dans l’émotion, dans la sincĂ©ritĂ© du regard.

Le regard tournĂ© vers l’avenir

Le personnage du fils n’existait pas dans le vrai voyage de Kiarostami, mais il est essentiel. Il incarne le futur, la vie qui littĂ©ralement continue. À travers lui, le rĂ©alisateur montre que mĂȘme au cƓur du dĂ©sastre, il y a un lendemain possible. On rencontre d’autres enfants sur la route, curieux, drĂŽles, lumineux. Et cet enfant, Ă©coutĂ© par son pĂšre cette fois-ci, donne au film une douceur inattendue.

Ce voyage devient une leçon. Une maniÚre de poser cette question:

“Et si nous pouvions revivre aprùs la mort, est-ce que nous ne vivrions pas notre vie de façon meilleure ?”

Une interrogation qui rĂ©sonne comme un prĂ©lude Ă  Le GoĂ»t de la cerise, oĂč Kiarostami explorera de maniĂšre plus approfondi la place de l’homme face Ă  la mort. Mais ici, la vie ne se pense pas, elle se montre. Elle a des visages et des voix. Elle joue au football. Elle prĂ©pare un mariage. Elle rit malgrĂ© tout.


Au travers des oliviers : Le rĂ©el Ă  l’épreuve du cinĂ©ma

Cette fois, on assiste au tournage de Et la vie continue, le film se focalise sur Hossein, un ancien maçon qui n’est pas acteur comme beaucoup dans le film. Il est amoureux de Tahereh, mais elle ne l’aime pas et sa grand-mĂšre refuse de lui donner la main de sa petite-fille Ă  cause de sa pauvretĂ©.

Séparé visuellement par les classes et le nombre de pots de fleurs

La catastrophe a mis tout le monde sur le mĂȘme plan, les riches ont perdu leur maison, les pauvres aussi. NaĂŻvement Hossein voudrait croire en un monde diffĂ©rent. Il parle d’un mariage entre classes, entre illettrĂ©s et Ă©duquĂ©s.

Le cinéma recadré par ses acteurs

Hossein n’a pas les mots du cinĂ©ma, mais il a ceux de la sincĂ©ritĂ©. Quand on lui demande d’exagĂ©rer, il refuse. Il ne veut pas tricher sur le nombre de membres de sa famille morts dans le sĂ©isme. Il ne sait pas jouer, mais il sait ce qu’il ressent et c’est ça le plus grand dĂ©fi pour le film, faire jouer Ă  un homme rĂ©el une situation rĂ©elle sans se trahir.

Kiarostami en miroir

Le personnage du rĂ©alisateur, jouĂ© par un acteur professionnel, contraste avec ceux qui l’entourent. Il vient d’ailleurs, il a des certitudes et un scĂ©nario mais peu Ă  peu, Il doit adapter son scĂ©nario.
Il dĂ©couvre que ce n’est pas lui qui dirige. Que le rĂ©el a ses propres rĂšgles. Que les silences comptent autant que les dialogues. Que les visages ne s’apprivoisent pas si facilement.
Ce rĂ©alisateur, c’est peut-ĂȘtre Kiarostami lui-mĂȘme. Un homme qui doute. Qui se regarde filmer, qui apprend Ă  Ă©couter, Ă  se remettre en question.

Et puis, il y a ce dernier plan

Et puis, il y a ce dernier plan. Encore un chemin, Hossein s’éloigne dans les collines, entre les oliviers, il insiste, elle s’arrĂȘte. Et puis quelque chose se passe, on ne saura jamais quoi. Mais lui comprend, il repart en courant, heureux et libĂ©rĂ© d’un poids. Ce n’est pas la fin d’une histoire, mais plutĂŽt le dĂ©but d’une autre.

Cette fois-ci derriĂšre les oliviers, Ă  l’abri des regards

Pour finir

Abbas Kiarostami nous propose une trilogie unique dans l’histoire du cinĂ©ma, profondĂ©ment ancrĂ© dans le rĂ©el, oĂč chaque film transforme le prĂ©cĂ©dent. On commence avec un enfant qui cherche une maison, on finit avec un homme qui court dans les collines, le cƓur allĂ©gĂ© par quelques mots.

Kiarostami ne cherche pas Ă  imposer une vision, il cherche Ă  Ă©couter. Il filme les silences, les gestes, les hĂ©sitations, ce qui ne se montre pas, ce qui ne se dit pas. Ce n’est pas une trilogie sur l’Iran, ni mĂȘme seulement sur le sĂ©isme ou le cinĂ©ma. C’est une trilogie sur l’humanitĂ©, sur ce qui nous relie malgrĂ© les catastrophes, les classes sociales, les malentendus.
Et si la camĂ©ra s’éteint, la vie, elle, continue.


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